Chaque année, la population de Bénac compte une vingtaine d’âmes supplémentaires pendant la saison estivale. De juillet à octobre, le passé s’invite dans le rues de la commune pour vous faire redécouvrir la vie d’autrefois.
La dernière édition

Les scènes

Départ pour la Foire

En 1906, on dénombrait en Ariège 564 foires et 25 marchés hebdomadaires. Il y en avait dans les petits villages et plusieurs dans les grandes villes. Ces grandes foires qui permettent de monnayer sa production, sont d’abord pour le paysan l’occasion de rencontrer ses congénères, ses parents, ses connaissances, d’échanger avec eux des nouvelles du pays, de savoir qu’un tel a eu le certificat, que tel autre s’est marié, que tel vieux est mort ou qu’un autre a été accidenté.
Un fois les affaires faites, quand les volailles, les lapins, les graines, les cochons ou les moutons ont été vendus au meilleur prix, on achète ce dont on a besoin : une vache, des pierres à aiguiser, d’autres graines, de la mercerie ou des ustensiles de cuisine. C’est une de leurs sorties annuelles qu’ils ne manquent pour rien au monde. Les enfants, quand ils ne restent pas à la maison à garder le bétail ou les petits frères et sœurs, ont droit ce jour là à quelques bonbons et sucreries, et parfois un tour de manège.
Plus tard, les hommes se retrouvent attablés à la taverne ou au café de la ville, fiers d’offrir, ce jour-là, un verre aux relations, histoire de leur montrer qu’on sait mener ses affaires, même si le maquignon avec lequel on a topé en a réalisé une meilleure. Parfois, on en ramasse, saouls comme des cochons ; d’autres, flattés par une fille de petite vertu y laissent des plumes …
Et chacun repart chez soi à pied, par le train ou en voiture à cheval en se laissant guider par l’animal qui connaît le chemin de l’écurie, en traînant derrière soi un nouvel attelage de bœufs ou de vaches de travail, pas forcément plus riches qu’avant, mais plus heureux et la tête pleine de souvenirs et de nouvelles.

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L'Aîgordentaîre
A la mi-automne, on voyait sur les routes ou sur la place des villages, prés d'un point d'eau, l'alambic du distillateur ambulant (l'aïgordentaïre). Cette volumineuse "machine à goutte"comprenait une chaudière, trois vases, et un serpentin à l'extrémité duquel se situait le col-de-cygne par où coulait l'alcool obtenu.
Partout dans les campagnes, on conservait, au long du printemps et de l'été, des fruits dans des tonneaux où ils fermentaient, atteignant déjà un fort taux d'alcool
La distillation séparait les différents éléments de ce mélange et concentrait l'alcool et l'essence des fruits en laissant dans les cuves le résidu. Pour avoir le droit de transformer sa récolte en alcool, le paysan devait disposer d'un privilège de bouilleur de cru qui l'y autorisait sans que le fisc pût prélever une taxe. Autrement, il lui fallait acheter ce droit à l'état chaque année. Muni du précieux document, il apportait ses fruits macérés à l'alambic qu'environnait une puissante odeur d'alcool et de moût putréfié, autour duquel bourdonnaient les insectes. La distillation ne constituait qu'une activité saisonnière pour laquelle le distillateur était payé à la quantité de fruits apportés.
L'alcool était indispensable: il accompagnait les fêtes et les grands repas et constituait un désinfectant universel. A une époque où, dans les cours de ferme, le voisinage du tas de fumier et du puits contaminait l'eau, l'usage d'additionner d'alcool toutes les boissons éliminait certains risques. Il entrait aussi dans de nombreux remèdes, pour l'homme ou pour le bétail.
Aujourd'hui encore à Bénac, durant l'hiver, vous pouvez amener vos fruits macérés au distillateur ambulant. En effet un jeune du pays a pris la suite de l'ancien distillateur. Un alambic, semblable à celui que vous avez devant vous, mais en bon état de marche lui permet de maintenir cette activité ancestrale.

La fête du cochon
La fête du cochon est la plus belle de l'année, disaient autrefois les paysans. L'animal à sacrifier était pour eux, une petite fortune, car il constituait la seule réserve de viande pour toute l'année.
La mise à mort de la bête se faisait selon des rites séculaires et avec des soins attentifs. On observait la phase de la lune, car les mites risquaient d'attaquer jambons et saucissons si l'opération se faisait pendant la nouvelle lune. La veille divers préparatifs ont eu lieu: la maie, est à moitié remplie d'eau afin de lui assurer une étanchéité parfaite. Le grand chaudron de cuivre, a été bien récuré, en même temps que deux autres chaudrons de plus petite taille.
Le lendemain matin, de bonne heure, la ménagère a suspendu le grand chaudron à la crémaillère, l'a ensuite rempli d'eau et a allumé un grand feu dessous. Pendant que l'eau chauffe, les sacrificateurs se sont approchés de la pourcatièro dans laquelle la bête sommeille encore. On vient annoncer au condamné que son pourvoi en grâce a été rejeté. Si on ne lui offre pas une dernière cigarette, on le tente cependant avec une poignée de maïs. Et pendant qu'il relève légèrement le groin et entr'ouvre ses mâchoires pour mastiquer les grains, traîtreusement le nœud coulant d'une solide corde vient entourer son groin et passe derrière ses défenses. Le nœud est vivement resserré pendant que deux solides gaillards le prennent chacun par une oreille. Sous l'effet de cette brusque attaque, instinctivement, l'animal recule. Mais le bourreau tire sur la corde, tandis que d'autre mains puissantes se plaquent sur les fesses de la bête … et bon gré, mal gré, celle-ci est hissée sur la maie renversée et couchée sur le côté.
Une fois mort, il est posé à terre, tandis qu'on remet la maie debout. Placé alors dans la maie, il est ébouillanté à grande eau, puis on procède à sa toilette par un raclage soigné qui lui enlève toutes les soies. La bête est ensuite suspendue : les tendons d'Achille mis à nu et formant boutonnière, on introduit dedans une solide pièce de bois en forme de porte-manteau, et à l'aide d'un treuil, on hisse le corps jusqu'au plafond, tête en bas. La tête est d'abord détachée; puis on ouvre le ventre avec d'infinies précautions pour ne pas détériorer tous les organes intérieurs qui seront utilisés: la vessie, vidée puis soufflée, sera remplie de graisse fondue ; les intestins, bien nettoyés à l'eau courante, serviront à confectionner saucissons, boudins, saucisse. L'animal ainsi vidé passera la nuit à la fraîcheur de l'air, et le lendemain sera préparé en totalité. On confectionne de grands vases de confit, de lard salé, du saindoux, mais la plus grande attention sera donnée aux quatre jambons : après avoir enlevé avec minutie l'os de l'articulation, on sale, on poivre et on coud chaque jambon dans une toile pour l'enfermer ensuite dans un grand coffre en bois où il sera entièrement enfoui dans des cendres de bois. Le reste de viande est haché, poivré, salé, bien pétri pour préparer la saucisse et les saucissons.
On confectionnera aussi trois sortes de saucissons :
- le saucisson de foie, fait exclusivement avec ce viscère
- le saucisson de couennes
- un saucisson fait avec le pancréas, les rognons et de la viande saignante
Ce dernier s'appelle salcissot roustisseire c'est-à-dire à rôtir. Naguère, et vers 1900, il était d'usage de l'accrocher à la cheminée, près du feu, pour le faire rôtir le jour des fiançailles d'un enfant de la maison. Quand il était à point, chacun en mangeait un morceau, et cela portait bonheur aux futurs mariés.
Le repas traditionnel qui a lieu à midi, le jour de la mise à mort est dit fèsto del porc. On y déguste une tranche de filet qu'on fait griller dans la cheminée. Ce morceau est appelé carbounado. Le repas, qui se prolonge une grande partie de la soirée, voit défiler tous les plats traditionnels des grandes fêtes, avant de se terminer par des chansons en langue du terroir.
Adelin MOULIS "traditions et coutumes"

La paysanne
La paysanne ariégeoise, si pauvre, est cependant très donneuse. De nos jours la condition du foyer paysan et de la femme a heureusement évolué. Mais les vertus ancestrales n’ont pas encore disparu … Si loin que remontant dans mes souvenirs, je ne me vois pas passant le seuil d’une ferme sans emporter quelques beaux fruits, un gâteau de miel, des crêpes ou des marrons chauds, un saucisson, du « cambajou » jambon du pays cru et très salé, d’un goût exquis. Rarement des fleurs, car la paysanne utilitaire sous-estime une pareille offrande.
Ses bêtes soignées, elle lève les enfants, les équipe pour l’école, prépare le panier de leur déjeuner, hèle les petits voisins et suit d’un regard d’amitié, la puérile troupe qui disparaît derrière la haie. L’homme après un bol de café, est parti aux champs. Mariotte prépare le déjeuner de neuf ou dix heures suivant la saison et, quand elle l’aura servi et mangé debout sur le pouce, elle suivra son mari, avec lui elle bêchera, sarclera, labourera. Vers deux heures elle revient en courant, fait cuire deux œufs, coupe une large tranche de pain, prend un litre de vin et porte son repas à l’homme qui, étendu à l’abri d’un arbre goûte un repos bien gagné.
Et Mariotte direz-vous ? Mariotte, elle, ne se repose pas ou si peu ! elle sert, mange du bout des lèvres, et se remet à la tâche. Vers quatre heures, elle repart en hâte, recevoir les petits écoliers, elle leur distribue leur tâche, confie les brebis à l’un, les vaches à l’autre, gronde et dorlote, menace et promet, puis elle va faire sa récolte d’herbes, sarcle son potager, va puiser de l’eau à la fontaine souvent éloignée, ouvre la porcherie d’où une masse boueuse et grondante s’échappe aussitôt, et tout en surveillant ses bêtes vautrées dans le fossé, Mariotte rallume son feu, pèle ses pommes de terre, nettoie l’étable, range sa cuisine, prépare le repas du soir. Ses enfants et l’homme couchés, elle révise leurs hardes, pose des pièces multicolores, reprise les bas, somnole, se réveille et, grise de fatigue, se couche aux environs de minuit sans avoir eu une seconde de détente au cours de la longue journée.

Le Campanié

De nombreux villages de la Haute Ariège ont perdu leur carillonneur, et pour cause, presque toutes les cloches ont été électrifiées.
A Bénac, c'est en 2005 que cette transformation s'est effectuée car, notre ami André LABERTY l'ancien campanié avait, pour raison de santé, cessé son activité depuis quelques années. Notre carillonneur avait appris son métier à l'âge de 14 ans, avec son père. Pas besoin de suivre la partition, il lui a suffit d'avoir une bonne oreille et de la vigueur dans les bras. Pendant plus de 60 ans il a œuvré au sommet du clocher en actionnant les battants des cloches de Bénac mais aussi des villages voisins.
Chaque jour, le campanié sonnait l'angélus. Ainsi, les travailleurs dans les champs, les femmes dans les jardins, tous ceux qui par leur travail ou leur occupation étaient éloignés du village, savaient quand il était temps de rentrer manger, ou d'arrêter la journée de travail. Le son des cloches porte très loin, ainsi les pâtres et bergers dans la montagne, par temps de grand vent, pouvaient l'entendre.
Quand il y avait un décès, le carillonneur sonnait le glas, pour en informer tout le village : pour une femme 2 fois, pour un homme 3 fois. C'est la famille du défunt qui payait le campanié.
Le dimanche et les jours de fête, le carillonneur tournait les cloches avec les mains, ce qui rendait le son plus agréable. Quand il y avait le feu , il fallait sonner trois cloches, très vite et en même temps, et ce jusqu'à ce que tout le village soit prévenu.
Et puis, à partir du 14 Décembre, et ce jusqu'à Noël, de 10 h à 11 h le carillonneur sonnait trois fois les cloches pour annoncer la venue du Christ.
Presque toutes les petites églises des villages sont désertes à présent. Heureusement, de temps en temps , il y a encore des fêtes, des baptêmes et des mariages, et l'église du village retrouve son charme d'antan, et son curé, celui qui au début du siècle, était la troisième personne la plus importante, après le maire et l'instituteur.

Le chasseur


Le curé
Jean-Jacques Delescazes (mort en 1647 ) curé de Foix, puis de Bénac vers 1630-1640, écrivit à Bénac "le Mémorial historique contenant la narration des troubles et ce qui est arrivé diversement de plus remarquable dans le païs de Foix et le diocèse de Pamiers depuis l'an de grâce 1490jusque à1640". Cet ouvrage retrace les luttes religieuses de l'époque et l'histoire résumée du pays de Foix.
En ce temps- là, la paroisse de Bénac était très importante puisque Serres et le Bosc lui étaient annexées. Elle exista jusqu'en 1789, date à laquelle elle fut rattachée à Brassac. Puis elle fut rétablie en 1844 et, en 1959, elle fut, à nouveau, rattachée à Brassac.
L"abbé Casimir Rivière en fut le curé pendant 66 ans. Mort en 1915, il est enterré dans le cimetière communal.


Le Mariage

En général, on se marie jeune pour que l'étranger ou l'étrangère entrant dans la famille s'adapte rapidement à son nouveau foyer, où cohabitent parfois trois générations. La jeune femme prend, certes le nom de son mari, mais aussi le surnom par lequel il est connu, chacun étant dans les campagnes affublé d'un sobriquet mettant en valeur une particularité de l'individu, morale ou physique, bonne ou moins bonne qui le suivra toute sa vie.
Le mariage était un acte essentiel de maintien de la cohésion familiale au sein de la communauté Ariégeoise. La coutume privilégiait un héritier désigné par le père et dont le mariage était accompagné du règlement de la succession. D’où une stratégie très étudiée, avec une forte endogamie géographique et sociale et un grand souci de la dot.
La robe de la mariée est de couleur rouge à Bethmale, mais noire à Vicdessos. Dans d'autres régions de l'Ariège, elle est blanche, et partout elle ne comporte pas le voile, qui n'arrive dans les campagnes que vers 1910-1912. La jupe est faite d'une large bande de tissu froncé à la taille car, au fur et à mesure que la femme prendra de l'aisance, elle desserrera un pli. Ainsi, la jupe est censée servir toute la vie, du moins pour les cérémonies habillées ou lorsque sa propriétaire sortira en ville. Car après le mariage, l'épouse reprend ses vêtements de jeune fille
Le mariage villageois mobilisait garçons et filles en des rites complexes et respectés. Les jeunes gens transportaient la veille trousseau et armoire chez le fiancé; le soir, les jeunes filles cachaient la fiancée; en chansons les garçons demandaient à entrer, en chansons toujours on refusait, on hésitait, puis on ouvrait la porte, on recherchait l'héroïne et quand on l'avait trouvée, on dansait. Le jour des noces était marqué par les rites de la séparation d'avec les parents (la mariée pleurait), par ceux d'acceptation par la communauté (des coups de fusil), puis par la nouvelle famille (offrande de pain et de vin par la belle-mère) et à nouveau on dansait.

Le poilu
Ils avaient dix- sept ou vingt- cinq ans. Se prénommaient Gaston, Louis, René…
Ils étaient boulangers, palefrenier, colporteurs, bourgeois ou ouvriers. Ils devinrent soudainement artilleurs fantassins, brancardiers… Voyageurs sans bagages, ils durent quitter leurs femmes et leurs enfants et revêtir l'uniforme mal coupé, chausser les godillots cloutés.
Sur huit millions de mobilisés entre 1914 et 1918, plus de deux millions de jeunes hommes ne revirent jamais le clocher de leur village natal. Plus de quatre millions subirent de graves blessures…
Voici quelques mots écrits dans la boue et qui n'ont pas vieilli d'un jour. Des mots déchirants, qui devraient inciter les générations futures au devoir de mémoire, au devoir de vigilance,comme au devoir d'humanité
20 Septembre 1914
Nous venons de passer une terrible semaine. D'ailleurs, depuis notre départ de la Francheville, il me semble qu'il n'y a plus ni nuit ni jour, c'est la même journée qui se prolonge à travers la lumière et l'ombre, parmi les marches forcées et les combats, parmi les souffrances physiques et morales. La réalité dépasse notre imagination et cela me paralyse d'écrire. Aussi je laisse toute cette histoire que je vous dirai, s'il m'est jamais permis de revenir au monde.
Etienne TANTY
Octobre 1915
Je crois n'avoir jamais été aussi sale. Ce n'est pas ici une boue liquide , comme dans l'Argonne. C'est une boue de glaise épaisse et collante dont il est presque impossible de se débarrasser, les hommes se brossent avec des étrilles…par ces temps de pluie, les terres des tranchées, bouleversées par les obus, s'écroulent un peu partout, et mettent au jour des cadavres, dont rien, hélas, n'indiquait la présence. Partout des ossements et des crânes. Pardonnez moi de vous donner ces détails macabres; ils sont encore loin de la réalité.
Jules GROSJEAN
19 Juillet 1915
Je ne suis plus qu'un squelette où la figure disparaît sous une couche de poussière mêlée à la barbe déjà longue. Je tiens debout comme on dit en langage vulgaire parce que c'est la mode.
Emile SAUTOU
Extraits du livre: "Paroles de Poilus" (LIBRIO)

Le vannier

LA CHANSON DU VANNIER
Brins d'osier, brins d'osier,
Courbez-vous, assouplis sous les doigts du vannier.
Brins d'osier vous serez le lit frêle où la mère
Berce un petit enfant aux sons d'un vieux couplet:
L'enfant, la lèvre encor toute blanche de lait,
S'endort en souriant dans sa couche légère.
Brins d'osier, brins d'osier,
Courbez-vous, assouplis sous les doigts du vannier.
Vous serez le panier plein de fraises vermeilles
Que les filles s'en vont cueillir dans les taillis,
Elles rentrent le soir, rieuses, au logis
Et l'odeur des fruits mûrs s'exhale des corbeilles.
Brins d'osier, brins d'osier,
Courbez-vous, assouplis sous les doigts du vannier.
Vous serez le grand van où la fermière alerte
Fait bondir le froment qu'ont battu les fléaux,
Tandis qu'à ses côtés des bandes de moineaux
Se disputent les grains dont la terre est couverte.
Brins d'osier, brins d'osier,
Courbez-vous, assouplis sous les doigts du vannier.
André THEURIET

Les Aïnats
Voix d’ancêtres
Ancêtres du terroir, pourquoi me hantez-vous ?
Le passé sous mes yeux n’est qu’un livre d’images,
Mais vous avez laissé sur ses plus belles pages
L’ombre de vos portraits impassibles et doux.
Comme il est loin le temps où, sous des mains tremblantes,
Tressaillait le rabot du petit menuisier
Qui le soir, au reflet de lueurs vacillantes
Suspendait sur son seuil mes courses d’écolier.
Je ne vois plus passer, à l’ombre des platanes,
Assis sur ses épis doucement cahotés,
Le vieillard qui plongeait dans les nuits diaphanes
Ses yeux de vétéran amoureux des étés.
Et le vieux forgeron à la barbe d’apôtre
Qui martelait l’enclume et chantait au lutrin ?
Aïeux, aïeux dont l’âme a tant bercé la nôtre
Qu’est devenu l’accord de votre effort serein ?
Vivre, sans que jamais la divine étincelle
S’éteigne en nos foyers comme en notre raison,
En puisant dans l’épreuve une vigueur nouvelle
Pour retourner sa terre et semer la moisson.
Simples mots, mots empreints de magique espérance
Que j’entends résonner comme un écho vainqueur,
C’est vous, vieux paysans, emblême d’endurance,
Qui les avez gravés, tout vibrants, dans mon cœur.
André descat

Les Saltimbanques

Au premier rang des itinérants, voici les « saltimbanques » et « les baladins » qui se déplacent de château en château pour animer les veillées des provinciaux en échange d’une maigre rétribution : souvent guère autre chose que le gîte et le couvert Ils viennent de loin dans leurs chariots loqueteux, lorsqu’ils en possèdent un : d’Europe centrale et même d’Egypte. D’où leurs noms : Tziganes, Romanichels. Par quel mystère de l’histoire l’existence de ces gens-là se déroule-t-elle sur les chemins de la vieille France ?
Le ministère (direction de le sûreté publique) n’hésitait pas à rappeler les préfets à une grande vigilance. Les livres préfectoraux, qui enregistrent la délivrance des carnets autorisant les professions de saltimbanques et autres ambulants, nous éclairent sur le nombre « d’artistes » encombrants les routes. On y trouve des jeux de marionnettes, des exercices gymniques et acrobatiques, des joueurs d’orgue, des vendeurs de poésies, des lutteurs. Des musiciens, bien sûr, des chanteurs et des montreurs de phénomènes.

Au XIXe siècle, les saltimbanques ou montreur d’ours sont souvent confondus dans la suspicion des autorités avec les »ouvriers invalides et ouvriers sans travail » par le fait qu’ils sont autant de vagabonds et de mendiants. Il en est de même pour tous les colporteurs, qu’ils soient marchands d’épingles, de chapelets, de porcelaine ou encore rétameur ou cordonnier ambulant. La méfiance de l’étranger est la règle d’or lorsqu’il ne fait que passer, et il y’a beaucoup de monde sur les routes.
Le terme «d’étranger » ne caractérise pas seulement les ressortissants d’une autre nationalité, mais plus simplement ceux qui résident en dehors du département ou même du canton.
L’itinérant doit impérativement présenter son passeport intérieur dans toutes les mairies qu’il traverse. On imagine l’astreinte que cela représente pour des gens qui vivent souvent fort modestement et qui se sont lancés sur les routes plus par nécessité que par plaisir.
Extrait du livre « Les métiers disparus » de Régis GRANIER

Rentrée du "feîch

(Rentrée du fagot de foin dans la grange)
Dans l'air si pur et lumineux
De l'été qui boit les ruisseaux,
De bon matin les faneurs,
Insectes sombres des prairies,
Agiles et diligents,
D'un côté et d'autre, rapidement,
Lancent leur fourche légère.
On dirait qu'ils dépiquent du soleil,
Les faneurs de mon pays.
Ils éparpillent comme pour la ranimer
L'herbe fraîche étendue en de verts ruisselets,
Tremblantes graminées, herbe étonnée,
Que la luisante faux vient de tuer.
Les andains, ces longues tombes,
Parallèlement,
Semblent ensemble s'en aller
Vers la montagne leur refuge.
Les faneurs en effacent l'image
Et remettent les herbes à leur place.
Mais toutes les plantes sont mortes
Et leurs têtes lourdes de peine
Regardent avec effroi
Le bleu du ciel qui les bénit.
Les yeux lointains, toujours pressés,
Les faneurs aux gestes rituels,
Sans bruits et sans pensée,
Rythment leur besogne sous le ciel,
Tous brunis de soleil.
La prairie était en fête,
Ordonnée, frémissante et belle.
Heureux monde végétal,
De pétales, de couleurs, d'harmonie
Que le vent berçait d'espérance.
Maintenant ébouriffée,
Tombée, lamentable,
Tiges en l'air, la triste prairie
Attend le dernier baiser du soleil.
Les marguerites, le trèfle, le serpolet,
Les boutons d'or, les fléoles en bouquets,
Les herbes d'amour et les œillets,
Dans un ultime effort,
Les cœurs des fleurs qui meurent sur la terre,
Pour apaiser et pardonner
Exhalent leur parfum de miel,
Si fin, si doux, si caressant,
Dernière pensée, adieu à la vie,
Aux faneurs, eux aussi légers, frêles,
Grillons éphémères.
Jules PALMADE